11.10.2018 / Vernier sur Rock

Venue
Vernier sur Rock
Vernier sur Rock, Vernier :
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Tickets :
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Etre doté d’une pensée musicale, s’exprimer avec les notes, les silences et les touches d’un piano, plus qu’à travers les mots, forge un destin. Celui de Lulu Gainsbourg s’approche de ces artistes au monde intérieur vertigineusement vaste, cultivant l’art de la peinture musicale, cherchant la fin de chacune de leurs phrases dans un instant décisif ou suspendu, un accord irrésolu. Si Lulu Gainsbourg a hérité quelque chose de son père Serge, c’est son rapport à la beauté du son, frôlant l’obsession de la perfection, un désir de communiquer à travers la création, d’être comme il le dit : « Le reflet d’une partition ».

En 2011, Lulu Gainsbourg entamait sa carrière discographique avec un album de reprises, From Gainsbourg to Lulu, un passage de témoin au titre sincère et éloquent. S’accompagnant des voix de Marianne Faithfull, de Rufus Wainwright ou de Scarlett Johansson, il avait exprimé l’amour, l’attente, l’étrange contrepoint entre absence et silencieuse présence. Publié trois ans plus tard, Lady Luck sonnait comme un état des lieux d’un jeune homme assis au piano face à une rupture sentimentale douloureuse, composant douze titres originaux, épaulé de guest stars comme l'actrice Anne Hathaway et son amie d'enfance, l'artiste peintre, Ara Starck.

Depuis, Lulu Gainsbourg n’a cessé d’avancer, d’explorer, prenant du recul, ôtant des couches, étudiant la perspective de son tableau musical, le temps qu’il fallait pour composer un sujet qu’il voyait de moins en moins flou, de plus en plus net : « Je cherchais encore ma voix, ma propre façon de chanter, de raconter... »

Non sans humour, c’est à travers un jeu de mots, « T’es qui là », titre de son nouvel album, que Lulu Gainsbourg affirme enfin toute l’étendue de son talent d’interprète.
Fruit de multiples défis, ce disque dévoile un musicien qui vise la prise de risque. Enregistrées à New York et en prise directe, les 14 chansons de T’es qui là ? (parmi lesquelles Tequila où Django Reinhardt semblent défiler en ombre chinoise) sont toutes des « one take ». « J’avais envie d’un petit ensemble musical, d’un combo dans la vibe des enregistrements des années 1970. »

« Jouer ce que l’on ne sait pas » pourrait être le manifeste de cet album où les guitares d’Elias Meister, la batterie de Dave Cole et la basse de Francesco Marcocci nous éblouissent par leur inventivité et leur capacité à aller bien plus loin que des clichés musicaux et des phrasés souvent prévisibles et redondants de la pop. Lulu Gainsbourg navigue dans une mer
 
de vagues funk, Motown, de ressacs de pop psychédélique à la Pink Floyd. Un vent de jazz souffle sur ces plages où la virtuosité, la fougue et un élan d’improvisation captivent l’oreille. C’est dans un cadre plus solitaire, au 5 bis rue de Verneuil, dans l’appartement parisien de Serge Gainsbourg, que Lulu pose sa voix sur des textes poétiques et pleins d’ironie. Son auteur est sa muse et inséparable compagne, la talentueuse Lilou dont le visage mutin orne la pochette de Lady Luck. « Nous habitons ensemble à Londres et notre collaboration a commencé par jeu... J’ai des images, des idées de titres, des histoires plein les poches, mais je ne suis pas un parolier. Nous étions dans un bar à Londres quand Lilou a écrit en un quart d’heure et sur son portable, le premier texte, celui de Tequila. » Puis arrive Charles River : « Une chanson inspirée de la rivière qui se jette dans le port de Boston et l’Océan Atlantique. » Boston, là où Lulu Gainsbourg a fréquenté pendant quatre ans les bancs du prestigieux Berklee College of Music : « C’est l’une de mes premières compositions... je l’avais gardée dans un coin de ma tête, seule, sans texte. » La voix de Lulu Gainsbourg est grave, feutrée, sensuelle, chantée et parlée.

L’histoire de cet album est aussi celle du voyage d’un piano entre Saint-Germain-des-Prés et rue de Verneuil. Sur tous les morceaux résonnent les touches et les cordes d’un Fazioli à demi queue, un instrument avec une histoire et une âme : « Il s’agit du piano de Christophe. Il me l’a prêté et on l’a transporté chez mon père. J’aime le côté dandy et humain de Christophe. Sur Fazioli le piano et la guitare se doublent et les chœurs s’envolent vers des espaces infinis. On sent la nostalgie, le spleen et une magie.
« J’ai perdu mon père quand j’avais 5 ans... mais à 5 ans, tu ne réalises pas. J’ai fait mon deuil à 18 ans, mais je sais qu’il est là, dans ma tête et dans mon cœur. Dès que je suis au piano, je sens sa présence. » Lorsque Lulu décide d’enregistrer le titre Lucien, dans cet appartement rue de Verneuil où les murs chantent toujours, il attaque les premières notes et le réveil de son père se met soudain à sonner : « On l’entend dans le disque... J’ai poursuivi comme dans un état de transe ; ça ne m‘était jamais arrivé. A la fin, je bafouille et il y a des imperfections, mais j’ai voulu garder cet instant magique gravé. »

Lulu, Lucien s’aventure dans des morceaux envoutants comme le duo Premiers pas (avec Lilou), qui semble être habité par des accords de A Love Supreme de John Coltrane, ou son hommage à John Lennon, Love is The Key, superbe rémanence d’Imagine... La progression des accords et de la ligne de synthé de Jeux d’Enfants est un clin d’œil de Variations sur Marilou de Serge Gainsbourg qu’il a arrangé à sa sauce. Mère-ci, enregistré avec un chœur de 25 enfants en Normandie est un touchant hommage à toutes les mamans du monde, dont sa mère, Bambou. Et si L’artiste explore le chant mélismatique et ornemental, doublé des chœurs d’Yvonne Ambrée, la basse et la batterie de Narco nous transportent dans un dancefloor disco sur lequel Lulu Gainsbourg met le feu avec ses claviers funk à la Shaft. « Je sais danser, j’ai le sens du rythme et je voulais devenir batteur... » Il se dit être très réservé et timide, perfectionniste, exigeant, parfois trop à vif. Mais quand Lulu Gainsbourg parle de musique, il sourit.



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